L'oursin du golfe

A tous les entichés de la mer!

Un amie de l'été, fidèle à Campomoro depuis bien des années, m'a fait parvenir le texte qui suit, parce qu'elle l'a trouvé beau: il m'a plu. Lisez-le: vous saurez tout sur les ZINI!

« L’oursin corse est le meilleur du monde, a-t-on écrit avec raison. Quelle misère de voir vendre, et au kilo, dans les poissonneries de Paris ou des grandes villes de petits oursins morts, sales, aux piquants écrasés, que le chalut a arrachés aux bas-fonds de la mer ! Quel plaisir, déjà, de voir un oursin du Valinco, roux ou noir ou bleu, aux piquants remuants de vie, de taille assez grande pour emplir la main d’un tireur de filets. Pour les ouvrir ? On les prend par leur petite dimension dans la main gauche, la bouche et sa lanterne d’Aristote tournées vers la droite. Avec un couteau de lame assez lourde on tape sur le flanc droit de la châtaigne de mer en la faisant tourner par un mouvement du pouce gauche et des autres doigts. A l’intérieur il y a les déjections que certains adorent. Celles-ci virées par dessus bord, il reste dans la coupe nacrée, ordonnées en étoile, de véritables tranches d’orange, rouges ou brunes ou jaune d’or. De la pointe du couteau on les rassemble sur le fond avant de les saisir sur un carreau de pain et de se les mettre dans la bouche. La fraîcheur – il faut les déguster sur place, la saveur iodée de tous ses œufs vivants, font de l’oursin le meilleur, le plus vivifiant aussi de tous les fruits de mer. Et c’est seulement – on l’oublie trop – un fruit de l’hiver. En été, surtout, il est douceâtre et écoeurant. Il se cueille sur les hauts-fonds rocheux, pièce après pièce, avec un long roseau écartelé à l’un de ses bouts, dans les matinées froides et claires, et nécessairement par temps calme et ce pour deux raisons. L’oursin se nourrit des herbes de la mer ; par temps agité il ne peut circuler dans ses prairies ; si on le prenait alors, il serait maigre. Par temps calme le pêcheur voit clair pour faire sa cueillette. Si un peu de vent fait quand même friser les eaux, en les aspergeant d’huile il les rend plates juste le temps qu’il faut pour placer son roseau …
Il arrive que pour les manger on se réunisse entre amis … On ne mange que des oursins et on les arrose de vin rosé ou doré. Les femmes de Propriano disent que l’oursin soûle. Elles ont peut-être raison. »

L'amie a tiré ce texte du VOYAGEUR de CORSE (Hachette, 1968), écrit par Jean NOARO.
Renseignements pris, Noaro est né à Propriano et a été professeur de lettres à l'Ecole Primaire Supérieure de Sartène dans les années 30, où il aurait laissé le souvenir d'un grand pédagogue, avant de vivre de sa plume.
Salina

Bonsoir,
Pour avoir entendu le nom de Noaro ou avoir lu une de ses traductions, il faut sans doute s'intéresser à l'histoire des communistes italiens. Quel magnifique traducteur de Gramsci, qui sous la plume de Noaro, deviendrait presque un auteur doué d'un style remarquable! Quel esprit raffiné!
Ceux d'entre nous qui ont parlé à des gens qui l'ont connu savent sans doute qu'il fut un communiste militant, un grand résistant, un homme courageux, et un amoureux passionné de la Corse. Après la guerre, au nom de la résistance, il soutint le général de Gaulle qui fit entrer dans son gouvernement des communistes et autres gens de gauche. Noaro était à la fois un homme de conviction, un communiste fervent et un homme ouvert parce que doué d'une culture exemplaire. Choses qui ne vont pas toujours ensemble, reconnaissons-le!
Comme quoi, l'ouverture ne date pas d'un an !

François