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Era à piscà l'anguidda, PEPE L'ANGUILLE

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Message  nicurosu Sam 29 Mai - 15:13

Era à piscà l'anguidda, PEPE L'ANGUILLE Pesciu19

I me Cari,

U nosciu scrivanu e pueta Francescu Micheli si n'è andatu à piscà in u vecchju portu di Bastia!
Vi ni diciaraghju più una prossima volta.

Eh oui, notre scrivanu campumuresi s'en est allé tirer de l'oubli, sur le Vieux Port de Bastia, le premier roman corse, digne de ce nom; jusque là ce n'avaient été que nunucheries.
Il faudra attendre la génération d'aujourd'hui, de Biancarelli à Thiers, celle de l'Acquistu, pour retrouver cette veine.
Mais lisez plutôt:



Sebastianu Dalzeto,
[b] Pépé l'Anguille [/b] fédérop, 2010.

PESCIU ANGUILLA,
RUMANZU BASTIESE (BASTIACCIU°


     Très attendue en ce printemps automnal, la traduction française par François-Michel Durazzo de Pesciu Anguilla vient de paraître en Dordogne aux éditions fédérop (24680 Gardonne), sous le titre de Pépé l'Anguille. Il aura fallu attendre quatre-vingt années, ― de 1930 à 2010 ― pour que le roman bastiais de Sebastianu Dalzeto (Bastia, 1875 - Barchetta, 1963) voie le jour en langue française et puisse ainsi être lu et apprécié d'un large public.

    Écrit en langue corse, ici le bastiais (parlatu di a Marana), le roman de Sebastianu Dalzeto (de son vrai nom Sébastien Nicolaï) s'inscrit dans le Bastia des années 1880 que son auteur s'emploie à « ressusciter » à travers le récit de son narrateur et les péripéties quotidiennes de son héros, Pépé l’Anguille [Pesciu Anguilla ou Pesciu Angui dans le texte original]. Roman de formation (rumanzu d'amparera), Pépé l'Anguille raconte, en huit chapitres, l'ascension sociale d'un gamin issu de la misère solaire de cette « ville étrange », « belle créature » couverte de « plaies lépreuses » qu'est le Bastia de cette époque.

    Appelé aussi Pépé, Pépé l’Anguille ― ainsi surnommé en raison de ses talents de nageur et de ses non moins remarquables capacités à se défiler ―, tente de gagner sa vie en faisant le cireur de chaussures. Un métier que le gamin apprécie pour la grande liberté qu'il lui procure, même s'il nourrit difficilement son homme. Pour venir en aide à sa famille, anéantie par l'ivrognerie de Furtunatu, le père, et répondre aux supplications de sa mère ― lavandière au Fango ―, Pépé Morsicalupa est contraint de s'engager comme mousse sur le Frédéric. Cependant Faustina, en dépit des malheurs qu'elle endure, nourrit d'autres ambitions pour son fils. Qu'elle tanne, secoue, poursuit et pousse. Et après l'épisode tragique du naufrage dont Pépé l’Anguille sort triomphant, Faustina confie son fils aux bons soins du Conseiller Morfini et de sa famille, qui le prennent en affection. De fil en aiguille, des leçons de catéchisme et de musique dispensées par mademoiselle Marie jusqu’au petit séminaire, puis du petit séminaire de Bastia au grand séminaire d'Ajaccio, Pépé, prenant exemple sur la figure très enviée du Père Canone, construit sa réussite. Patiemment, mais avec constance et sérieux. De va-nu-pieds miséreux que son père traite de mendiant, il devient un beau jeune homme à qui le savoir et l'éloquence permettent de se hisser jusqu'à la prêtrise. Pour le plus grand bonheur de sa mère qui n'aura pas cédé pour rien aux déclarations d'amour du bon Conseiller Morfini. Mais la réussite du jeune prélat, devenu curé de Saint-Jean, serait illusoire s'il ne découvrait, au chevet du Turco (U Turcò dans le texte original) ― compagnon des beuveries paternelles ― qui vient de mourir, sa véritable vocation. Qui est de venir en aide aux plus déshérités.

    « Retourne au peuple d'où tu es sorti. Parle, secours, fais du bien, sans rien attendre de la société, cette marâtre digne du gibet. »

    Il est vrai que, sous la plume de Sebastianu Dalzeto, la société bastiaise n'est pas épargnée. Bastia a ses hiérarchies. La ville a ses riches, elle a ses pauvres ; ceux qui vivent dans la lèpre du Pontetto, ceux qui vivent place Saint-Nicolas. Petites gens et notables se côtoient. Lavandières, marchandes des quatre saisons, servantes, femmes de mauvaise vie... et bourgeoises se croisent. Les riches ont besoin des pauvres pour faire le travail. Ils les exploitent, rechignant à leur payer leur dû. Les pauvres se résignent, bien heureux d'empocher les quelques pièces qui assurent leur survie. « Les uns connaissent la misère, d'autres vivent dans l'opulence ». Et le narrateur d'ajouter : « Si notre société, dont on vante tant la perfection, n'était pas dénuée de toute conscience, il est des choses indignes qu'on n'y verrait pas. »

    Mais pour Pépé l’Anguille, qui vit dans une sorte de résignation heureuse, la prise de conscience et la révolte ne viendront que tardivement. Et en 1896, époque à laquelle se clôt le roman, rien n'a changé ! Si Pépé l’Anguille a su tirer son épingle du jeu social, Bastia, elle, est restée fidèle à elle-même.

    « Bastia était toujours la même ville. Plus que jamais, les débits de vin faisaient recette ; les ouvriers y laissaient leur paie de la semaine. Même dans sa crasse, Bastia restait inchangée. Si, pourtant : la place Saint-Nicolas s'était élargie et le petit fleuve du Fango avait disparu. Pleurez, lavandières, vous n'irez plus y laver votre linge ! »

    Héroïne du roman, à l'égal de Pépé l’Anguille, Bastia est un théâtre. Mille pièces de rue s'y improvisent aux fenêtres, mille acteurs peuplent la place du marché, le troquet de la Mère Minighelli, l'église Saint-Jean, les quais du Vieux-Port. Chacun s'active et la ville bourdonne. De mille chants, rires et cris. Tous poussent la chansonnette. D'autres chantent les airs de La Traviata ou du Trovatore ! Furtunatu imite la guitare de ses lèvres. L'aveugle joue de l'accordéon. Hélène à sa fenêtre invite Pépé l’Anguille à entonner avec elle ritournelles et refrains (Viens, le soir brunit les chênes, Le moineau rit ; ce moqueur... [« ssu majale di Victor Hugo », La Légende des siècles]). La petite clique du Turco draine derrière elle toute une foule de garnements (scajuffi dans le texte original). La place du marché regorge de victuailles alléchantes, d'odeurs, de couleurs, de tapage, de vie.

    Dans ce contexte, la misère de Pépé et de ses semblables n'a pas la pesanteur de la misère d'un Rosso Malpelo. Cette misère-là n'a pas la noirceur que prend la misère des vaincus (I Vinti) dans les récits de Giovanni Verga. Même si les coups pleuvent, même si la mère se lamente, même si l'infortune sévit, le lecteur rit. Davantage peut-être dans le texte original, très enlevé, très savoureux, que dans la traduction. Il rit des facéties des uns et des bons mots des autres, des situations et des excès dans lesquels chacun tombe à son tour. Le lecteur rit de la folie des hommes et de lui-même. Car dans le théâtre miniature de cette ville qui est « comme un village », c'est bien le théâtre du monde qui se joue là. Et l'on se surprend à s'émouvoir du sort de chacun des personnages. Et presque à regretter cette époque haute en couleur, désormais irréversiblement disparue.

    Traduit avec la plus grande fidélité possible au texte original, le roman Pépé l'Anguille est complété par un paratexte important. À la préface de Marie-Jean Vinciguerra ― préface reprise à l'identique de celle qui figure dans la deuxième édition de Pesciu Anguilla, « rumanzu bastiese » (La Marge, 1990) ― vient s'ajouter la préface de l'édition originale de 1930 (Paris, éd. Notre Maquis), rédigée en langue corse par Sebastianu Dalzeto. Dans cette préface, l'auteur de Pesciu Anguilla, premier roman rédigé en langue corse, rend hommage à Santu Casanova, le « précurseur » qui a ouvert la voie aux futurs écrivains, dont il espère qu'ils sauront doter la langue d'une grammaire forte et « d'un dictionnaire aux règles desquels chacun sera tenu de se conformer ». Ce n'est qu'à ce prix, ajoute-t-il, que le « dialecte corse, si expressif, si plein de sel », pourra franchir ses propres limites et atteindre son véritable statut de langue, appelée à être apprise et parlée par tous les enfants de Corse « aux quatre coins du monde ». De son côté, dans la préface de 1990, Marie-Jean Vinciguerra fait l'éloge de la « langue métisse » sur laquelle est construit cet « opera bouffe » très rythmé qu'est le roman de Dalzeto. Un chef-d'œuvre que le roman polyphonique PesciuAnguilla.

    Outre ces deux préfaces, toutes deux passionnantes ― parce qu'elles ouvrent sur de multiples pistes et questionnements ―, François-Michel Durazzo a rajouté une Note du traducteur dans laquelle ce dernier s'explique sur les choix qui ont été les siens concernant la traduction des toponymes, des noms et surnoms des personnages. Les chansons populaires, nombreuses, ont été maintenues dans leur langue originale ― français, provençal, italien, corse. Leur traduction est donnée à la fin de l'ouvrage dans les pages consacrées aux Notes.

    Un beau travail en réalité que celui de François-Michel Durazzo. Et un travail indispensable. Gageons que les lecteurs non corsophones prendront un vrai plaisir à découvrir, dans la traduction française, le Bastia de la fin du XIXe siècle à travers les péripéties vécues par le très attachant Pépé. Quant aux lecteurs à même de lire le texte en langue originale, leur curiosité ne peut qu'être titillée par ce superbe défi.


Angèle Paoli

Vous pouvez retrouver ce texte sur http//terresdefemmes.blogs.com, site qui s'intéresse à la littérature insulaire avec beaucoup d'à propos.

P.S. Pour vous procurer le livre:

- en Corse, vous pouvez le trouver ou le commander chez votre libraire habituel (distribution DCL);

- le commander à la librairie Mollat à Bordeaux (http//mollat.com/sebastianu-dalzeto-pepe-anguille-9782857921943.html

nicurosu

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Date d'inscription : 03/02/2008

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